domingo, 17 de marzo de 2013

la théologie de la libération

 ARTICULO EN ESPAÑOL


Entre la Croix et le AK
La Théologie de la Libération en Amérique Latine

"Un soldat n'est pas obligé d'obéir à un ordre qui va contre la Loi de Dieu"
Appel d'Oscar Romero aux soldats de l'Armée salvadorienne, à la veille de son assassinat

Les gouvernements la musèlent et assassinent ses adeptes, le Vatican l'exècre et veut la faire disparaître. Qu'est-ce donc que cette Théologie de la Libération qui a enflammé le continent latino-américain au point qu'un Pape ait voulu la mettre à genoux ?



I/ En bas et à gauche


La Théologie de la Libération est née sur le continent latino-américain.
L'expression est prononcée pour la première fois par le péruvien Gustavo Guttierez lors de la Conférence de Medellin, Colombie, en août 1968.

Cette Conférence réunit les évêques d'Amérique latine qui veulent étudier les orientations à mettre en œuvre pour appliquer les conseils de Vatican II. L'Eglise, en effet, veut s'ouvrir au monde et renforcer son engagement envers les pauvres. Le concept sera développé par Gustavo Guttierez dans "Théologie de la Libération", paru en 1972, de même que par des théologiens comme les brésiliens Frei Betto, Leonardo Boff, ou Hugo Assman, entre autres.

A la suite de la Conférence de Medellin, des milliers de prêtres, portés par leur foi, s'engageront dans la lutte en faveur des opprimés, à l'image d'un Christ de pauvreté et de justice.
En Amérique latine, dans les années 60/70, des séries de coups d'état militaires déstabilisent les pays et bouleversent totalement le continent. Les juntes au pouvoir torturent et assassinent dans le but d'éliminer toutes les forces de gauche; la situation est explosive.

Dans ce contexte, on peut supposer que les hommes d'Eglise ne peuvent échapper à deux figures importantes. La figure du Che, inévitable, et la révolution cubaine, et celle d'un prêtre colombien, Camillo Torres, qui, après avoir cherché à lutter légalement pour les droits des colombiens les plus pauvres, décide de prendre les armes en rejoignant en 1966 l'ELN (Ejército de Libéración Nacional) colombienne. Symbole du prêtre-guérillero, il meurt lors de son premier combat, à peine un mois après son entrée dans la guérilla.

Courant de pensée chrétien, la Théologie de la Libération est fondée sur la notion de "libération", en rapport avec la libération du peuple juif, qui, guidé par Moïse, se libère du joug de l'esclavage de l'Egypte, et traverse la Mer Rouge vers la Terre Promise. On veut libérer le pauvre du joug de la servitude et de l'exploitation.

C'est une théologie, donc un "discours sur Dieu". Mais c'est une théologie "d'en bas", c'est à dire que plutôt que de discourir sur un Dieu "dans les nuages", elle prend comme point de départ de sa réflexion le point de vue du pauvre et de l'opprimé.

En ce sens, sa dimension la plus importante est une dimension sociale et politique.
Elle critique les pouvoirs établis, les gouvernements. Lors de son 90ème anniversaire, Don Helder Camara, archevêque de Recife, Brésil, un des plus grands représentants de cette pensée, dénoncera " la persistance honteuse de la misère entretenue par les gouvernements et les élites."

Elle se situe nettement contre le capitalisme, qu'elle considère comme système injuste et ennemi principal du christianisme et des Evangiles puisqu'il idolâtre l'Argent, la Puissance, la Force et l'Individualisme.

Si la plupart des adeptes de la Théologie de la Libération ne se disent pas marxistes (marxisme et christianisme sont théoriquement antinomiques), elle flirte de près ou de loin et selon les époques et les lieux avec la pensée de Marx, ne serait-ce que parce qu'elle met en avant l'origine des dichotomies riche / pauvre, capitaliste / exploité, oppresseur/ oppressé. Le théologien Frei Betto affirmera que les marxistes et les chrétiens possèdent plus de points communs et d'objectifs similaires qu'on le suppose d'ordinaire.

Enfin, elle cherche son autonomie par rapport à un Vatican qui, éloigné des problèmes concrets de la pauvreté, soutient les pouvoirs en place et se fait trop souvent l'allié des régimes répressifs. Les Eglises d'Amérique latine, à partir des années 70 et à travers les communautés ecclésiastiques de base, tendent à s'auto-gérer et cherchent à se libérer d'un Vatican pour le moins autoritaire.

II/ Vatican ? Contre.

Une hostilité farouche du Vatican envers la Théologie de la Libération s'est déclarée dès l'élection de Jean-Paul II, en 1978.

Cette guerre prend ses sources dans les fondements même de la Théologie de la Libération. D'une part une haine pour le marxisme, de l'Eglise en général, et de Jean-Paul II en particulier. Polonais, il a vu en effet les révoltes populaires de son pays et les syndicats ouvriers matés violemment par le gouvernement de Gierek. De ce fait, il a rapidement passé des accords avec les Etats-Unis. Un problème se pose d'autre part avec le principe de l'engagement: selon les règles, un prêtre doit être neutre, ne doit pas montrer ses opinions. Mais s'engager pour le pauvre, c'est prendre position, c'est partager ses luttes! Or, la Théologie de la Libération est fondée justement sur cet engagement.

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En conséquence, le Pape a longtemps œuvré pour mettre au pas les prêtres qui refusent de se plier aux règles imposées par le Vatican.

S'il est allé se recueillir sur la tombe de Mgr Romero, archevêque de San Salvador et adepte de la Théologie de la Libération, assassiné en 1980 alors qu'il célébrait la messe, on lui reproche de ne pas avoir dénoncé les atrocités commises au nom de la contre-révolution salvadorienne et de ne pas avoir soutenu l'archevêque de son vivant, ou d'avoir montré trop d'égards à Augusto Pinochet, sans condamner les tortures et séquestrations du dictateur chilien.

Lors de son voyage à Managua, au Nicaragua, Jean-Paul II a fait subir une humiliation publique à Ernesto Cardenal. Ordonné prêtre en 1965, figure importante du Nicaragua et de la Théologie de la Libération, Cardenal a milité activement contre la dictature aux côtés des sandinistes. Après la chute de Somoza, il est nommé ministre de la Culture dans le nouveau gouvernement.

Lors du protocole, devant les caméras du monde entier, le Pape demande à Ortega, chef du gouvernement sandiniste, de rencontrer ses ministres. Ernesto Cardenal enlève son béret, se met à genoux et tente d'embrasser la bague du souverain pontif. Le Pape retire sa main, et brandit le doigt en direction de Cardenal: "Vous devez régulariser votre situation !" Et parce que Cardenal garde le silence, le Pape réitère sa demande, le tançant toujours du doigt. Cardenal fut suspendu par Rome.

Pour information, il quitta le FSLN (Frente Sandinista de Liberación Nacional) en 1994, jugeant le Président Ortega "trop autoritaire".

Plus tard, alors que le Pape célèbre la messe à Managua devant près de 700000 personnes, 17 mères, dont les fils ont été tués par des mercenaires envoyés par Reagan pour déstabiliser le gouvernement sandiniste, des mères donc, viennent demander au Pape de prier pour eux. En vain. Elles insistent, s'approchent trop près de l'autel.

"Silence !" crie le Pape dans son micro.

Plus personne ne l'écoute. Il aura bien du mal à finir sa messe; l'hymne sandiniste couvre ses mots et l'emporte.

Quel retour de bâton si l'on pense à Cardenal !

Six mois après le voyage de Jean-Paul II au Nicaragua, le Cardinal Ratzinger, alors à la tête de la "Congrégation pour la Doctrine de la Foi", héritière directe de l'ancienne Inquisition, publie un texte dans lequel il dit l'importance de ce que l'on appelle "l'option préférentielle pour les pauvres", lui accorde une vraie valeur, mais condamne vivement les dérives possibles dans le combat contre la pauvreté.

Le Vatican doit maîtriser les prêtres qui se mêlent de politique et s'engagent trop activement.

En 1996, Jean-Paul II a affirmé que la Théologie de la Libération était morte avec la Guerre Froide. Cette phrase nous dit bien l'importance que Vatican accordait à "son" combat.

Lors de la dernière nomination du Pape, en 2005, beaucoup de catholiques attendaient l'élection d'un latino-américain. Ratzinger devint le Pape Benoît XVI. De là à voir un complot pour tuer définitivement la Théologie de la Libération et ses adeptes, il n'y a qu'un pas.

III/ Prêtres-guérilleros et Hommes de paix

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Face à la faim et à la pauvreté d'une Amérique latine qui "s'ouvre les veines" pour nourrir un capitalisme dévorant, face à la torture érigée en droit par les gouvernements, des prêtres ont choisi le camp de la révolte armée.

Sans prendre les armes, à quelques rares exceptions près, ces prêtres-guérilleros, au risque de leur vie, ont soutenu et soigné les insurgés, ont continué de baptiser leurs enfants malgré les reproches des "bons chrétiens", ont nourri ou caché.

Frei Betto, au Brésil, rejoignit la résistance armée contre la dictature militaire en 1964. Il vint en aide aux révolutionnaires, les aida à franchir les frontières de l'Uruguay et de l'Argentine. Cette activité lui coûta cinq ans de prison. Gaspar Garcia Laviana, prêtre espagnol vivant au Nicaragua, a rejoint le FSLN en 1977. En 1970, le séminariste Nestor Paz, en Bolivie, participe à la guérilla de l'ELN, fondée par Che Guevara.


L'importance de la Théologie de la Libération au Mexique ?

Elle se manifeste en même temps que l'histoire récente du Chiapas, à travers la figure respectée de Mgr Samuel Ruiz. Evêque de San Cristobal de 1959 à 1999, il en a été le représentant énergique pendant plus de quarante ans. Homme de paix et de justice, il a consacré sa vie aux droits des populations indiennes du Chiapas, il a permis qu'elles fassent entendre leurs voix lors du Congrès Indigène de 1974, il a été le médiateur infatigable entre l'EZLN et le gouvernement, et a tenté de construire une église digne et respectueuse des droits humains.
Son successeur attendu, Mgr Raúl Vera, aurait dû nommé évêque de San Cristobal, comme l'aurait voulu la coutume, selon les règles de l'Eglise. Au lieu de cela, on le nomma évêque de Saltillo, histoire de l'envoyer bien loin du Chiapas, à la frontière américano-mexicaine.

Vatican n'aime pas la Théologie de la Libération.
Mais oublie la force de ses adeptes.

L'évêque poursuivra donc son combat à Saltillo, pour les droits de l'homme et le respect de la dignité. Il s'engage auprès des migrants, dénonce la corruption, l'exploitation économique ou la guerre déclarée par Felipe Calderón aux narco-trafiquants.

Il s'implique activement au côté d'associations pour les droits des homosexuels et dénonce "la discrimination, les violences, le rejet social et familial dont est victime cette population au Mexique".
En août 2011, il se voit convoqué au Vatican: on lui reproche son engagement auprès des homosexuels.

Afin que les pauvres de l'Amérique Latine retrouvent la dignité, les adeptes de la Théologie de la Libération, soutenus par leur foi, ont lutté, luttent, au prix de leur vie parfois, avec courage toujours, contre la misère et l'oppression qui maintient les populations dans le dénuement et l'asservissement.

Suffoquant face à la misère extrême et à la tyrannie de la torture, quelques-uns ont choisi de prendre les armes. Les plus nombreux se sont engagés pacifiquement au côté de l'opprimé, lui apportant aide et soutien et n'hésitant pas à dénoncer les injustices et les violences.

Face à l'intolérance et à la répression d'un Vatican qui leur intime de se taire et de faire alliance avec les puissants, ces hommes de Dieu ont choisi de désobéir.

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