martes, 24 de septiembre de 2013

Honduras : Tambours contre capital

Honduras : Les tambours de la resistance
(par O.C.)






En 1797, quelques 2000 survivants dela “guerre caraïbe” sont débarqués par les Anglais sur l´île de Roatan, au large des côtes du Honduras, d´où ils sont transférés à Trujillo par les colons espagnols pour la défense du port face aux incessantes attaques des corsaires anglais. Les “Caraïbes Noirs”, comme on appelle alors les Garifunas, fondent des villages le long d’un littoral dépeuplé où ils pratiquent l’agriculture par rotation (traditionnellement dévolue aux femmes), la pêche, le commerce de contrebande et le travail saisonnier – les colons anglais contrôlent alors l’exploitation des bois précieux au Honduras Britannique (Belize) et dans la Mosquitia, dont la forêt tropicale humide,la plus étendue d’Amérique après celle de l’Amazonie, recouvre un vaste territoire entre le Honduras et le Nicaragua. 


La situation s’inverse avec l’implantation des compagnies bananières américaines au début du XXème siècle. La United Fruit, la Standard Fruit et la Cuyamel Fruit Company se partagent les terres le long de la régioncôtière à la faveur de concessions exorbitantes octroyées au titre de la construction de chemins de fer, et se bâtissent un empire dont le poids économique et l’influence politique vaudront au Honduras le surnom de ”République bananière” (expression née sous la plume de l’écrivain et voyageur américain O. Henry). La pression sur les terres communautaires ira s’accentuant à mesure que de nouvelles populations s’installent dans la région. Le retrait progressif des compagnies après la grande grève de 1954 augmente le nombre de paysans sans terre ; la Réforme agraire consiste alors davantage en un projet de colonisation et d’avancée du front agricole que de redistribution des terres des grandes propriétés, accentuant la pression territoriale sur la côte nord et les communautés garifunas.


Le peuple garifuna est né de la rencontre entre esclaves marrons et Indiens caraïbes sur l’île de Saint-Vincent. La langue garifuna, de famille arawak, témoigne d’une histoire aux échanges multiples – dont un certain nombre de vocables français incluant la numération. En 1795, les Garifunas s’allient à la France révolutionnaire contre les troupes anglaises qui finissent par écraser la résistance héroïque des Garifunas, déportés vers Roatan au cours d’une traversée ou périssent une grande partie des survivants. Aujourd’hui, les Garifunassont confrontés à l’expansion des nouveaux empires du capital et des transnationales, désireuses de tirer profit du tourisme et des conditions d’exploitation locales, sous les auspices d’un gouvernement néolibéralultra-corrompu qui sévit dans la continuité du coup d’Etat du 28 juin 2009 contre le président Manuel Zelaya, qui avait osé promouvoir quelques réformes en faveur des travailleurs et adhérer à l’Alternative Bolivarienne pour les Amériques (ALBA) d’Hugo Chavez. 

En décembre dernier, le Congrès, dominé par le Parti National au pouvoir, a voté la destitution (illégale) des quatre des cinq juges de la Cour Suprême ayant voté, deux mois auparavant, l’inconstitutionnalité des “ciudades modelos” (“villes-modèles”), ou “charter-cities”, également baptisées RégionsSpéciales de Développement dans les réformes (in)constitutionnelles entreprises début 2011, puis Zones d’Emploi et de Développement Economique (ZEDE) dans la loi organique approuvée en juin 2013. Conçues par l’économiste américain Paul Romer, les “charter-cities” se définissent comme des espaces urbains dotés d’une juridiction, d’un système d’administration public et d’un régime fiscal autonomes, et de la faculté de contracter des dettes et signer des accords internationaux en matière de commerce et coopération – bref, de véritables enclaves soustraites à la souveraineté nationale, sortes de zones franches 2.0 dont les emplacements seraient projetés, l’un sur la côte pacifique autour du port d’Amapala, les deux autres sur la cote caraïbe – l’un dans la zone d’Omoa, à proximité de Puerto Cortes, l’autre autour de Puerto Castilla, entre Trujillo et la rivière Sico, entre les départements de Colon et Gracias a Dios,zone supposément “inhabitée” qui concentre plus d’une vingtaine de communautés considérées comme “sanctuaire de la culture garifuna” (il s’agit des communautés les moins urbanisées) par l’Organisation Fraternelle Noire Hondurienne (OFRANEH). 

L’OFRANEH, fondée dans les années 1970, est la fédération de défense des droits politiques, culturels et territoriaux du peuple garifuna. Les luttes qu’elle a menées pour défendre les terres des plus de quarante communautés d’ouest en est de la côte hondurienne ont abouti, en 1996, suite à la PremièreMarche des Tambours, à un Accord présidentiel pour leur titularisation, en tant que terres communautaires – et à ce titre, inaliénables (seuls les habitants de la communauté peuvent disposer de la terre en usufruit). Pour autant, les titres communautaires ne recouvrent généralement que les zones résidentielles, à l’ exclusion des terres “auxquelles ils ont traditionnellement accès pour leurs activités traditionnelles et de subsistance” – selon les termes de la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail(OIT), ratifiée par le Honduras en 1994 mais notoirement méconnue par les gouvernements successifs depuis lors. L’inadaptation de la législation nationale, la superposition des titres individuels et collectifs et des juridictions, les pratiques de corruption et d’abus de pouvoir et la continuité des politiques néolibérales de promotion des investissements perpétuent les ventes illégales et autres expropriations – comme dans le cas du quartier garifuna de Río Negro, Trujillo, ou la municipalité a fait valoir une loi d’expropriation forcée afin de permettre la construction d’un embarcadère pour navires de croisière, qui fait partie d’un vaste projet d’investissement touristique dans l’ensemble de la baie,mené par le Canadien Randy Jorgensen, “Roi du porno” canadien, sous le nom de Banana Coast. 

Autre mégaprojet emblématique du tourisme d’enclave que gouvernement et investisseurs cherchent à promotionner, le complexe Bahia de Tela, rebaptisé Indura Beach & Golf Resort, qui comprend la construction d’un hôtel cinq étoiles, d’un terrain de golf et autres villas sur la lagune de Los Micos, entre les communautés garifunas de San Juan, Tornabé, Barra Vieja et Miami, au cœur du Parc National Jeannette Kawas – du nom d’une militante écologiste assassinée en 1995 pour la lutte qu’elle a menée au nom de la défense des écosystèmes de la baie et des communautés qui en tirent leur subsistance. La première phase de construction vient d’être achevée à grand renfort de main d’œuvre sous-payée desdites communautés. Sous couvert de promesses d’emploi et autres bénéfices sociaux, les grands projets de tourisme d’enclave reproduisent un modèle d’exclusion et d’accumulation fondé sur le mépris des biens communs, de l’environnement et des communautés humaines qui l’habitent, générant dépendance et marginalité au nom du “développement”, concept amical sous lequel le langage commun a pris l’habitude de dissimuler les forfaits du capitalisme mondialisé. L’approvisionnement en eau de la communauté de Tornabéa brutalement décru, tandis que les terres de Miami et Barra Vijas sont d’ores et déjà cernées par la spéculation immobilière. 

Les grandes plages de sable fin qui depuis plus de 200 ans sont l’habitat naturel d’un peuple qui regarde vers la mer, sont les nouvelles frontières de la voracité sans limite du capital à la recherche de sa propre accumulation. Dans les communautés voisines de San Juan et Triunfo de la Cruz, de part et d’autre de l’autrefois port bananier de Tela, les ventes illégales de terres, avec la complicité de la municipalité, pour l’extension de l’élevage bovin,la construction de projets immobiliers ou des maisons de vacance de la classe politique, ainsi que la persécution des militants de la défense des terres ont fait l’objet, face à l’inefficience et à la corruption des instances judiciaires, de demandes internationales auprès de la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme. La radio Faluma Bimetu de Triunfo de la Cruz, première radio garifuna, pionnière de la lutte pour la défense des terres et la constitution d’un réseau national de radios communautaires, a été la cible de plusieurs attentats, dont un incendie volontaire en 2010. 


En août 2012, quelques centaines de jeunes, femmes et hommes de différentes communautés ont maintenu le campement installé sur les terres de Vallecito, entre Limon et Punta Piedra, dans le département de Colon, au milieu des menaces et intimidations des gardes privés qui empêchaient l’accès aux terres usurpées par Reynaldo Villalobos, narcotrafiquant notoire et Miguel Facussé, oligarque propriétaire (entre autres) d’immenses étendues de palme africaine dans toute la région. Les 1600 hectares de terre légalement inscrites au nom de six entreprises associatives paysannes garifunas sont emblématiques du mouvement garifuna pour la récupération et la titularisation des terres ancestrales ; elles témoignent également de la violence et de l’impunité qui se sont emparés du pays. Les terres de Vallecito, situées dans une frange littorale inhabitée qui sert de zone de transit au narcotrafic, sont le symbole d’une lutte et d’une espérance envers et contre tout : il y a là suffisamment d’espace pour développer cultures vivrières, plantes médicinales et université autonome – et offrir un refuge aux communautés menacées par le changement climatique et la montée du niveau de la mer.

A 216 ans de l’exil en terre centraméricaine, l’OFRANEH mèneinlassablement un combat inégal pour la sauvegarde des territoires et de la culture garifuna – dont la langue, les musiques et les danses ont été déclarées “chef d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité” par l’UNESCO, et font la force et la cohésion d’une lutte quotidienne pour continuer d’exister, dans les communautés comme dans les marches et occupations qui visent à exiger les droits à la vie et au respect d’une cosmovision et d’une société plus humaines que le système qu’elles dénoncent.

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